jeudi 12 février 2009

Un Temple ça se contemple




Sous sa robe grise et salie, le Temple de l'Oratoire vit.


Qui interviendra ?
Celui qui sera amené le plus souvent à constater les dommages,
en l'occurrence moi qui ne peux plus fermer les yeux...
Vous avancez pour construire un fragment du monde, moi pour le raconter.
Chacun de nous a le souhait de l'idéal, pourtant bien souvent
les déprédations vont bon train et nous n'arrêtons rien.

L'un est le Maire de la ville, c'est lui qui la pense, l'organise, la construit,
l'aime et par conséquent la protège ;
L'autre est l'auteur, la biographe, le témoin de son temps et de son lieu,
celle qui laisse des empreintes pour qu'on se souvienne.

J'ai la chance de vivre et travailler
dans l'un des plus beaux quartiers de Paris, entourée par des monuments
tous plus somptueux les uns que les autres : face à moi la Cour Carrée du Louvre,
le Pont des Arts, sur ma droite le Conseil d'Etat, le Palais Royal, la Comédie Française,
dans mon dos la Place des Victoires, l'Eglise Saint-Eustache et juste en face, à quelques
mètres, si près que je pourrais l'embrasser, se trouve Le Temple de l'Oratoire !

Je vous assure ce temple est malade, il tombe bel et bien en décrépitude.

Un instant nous avons espéré une opération, une chirurgie, peut-être même
un ravalement, un coup de scalpel, de bistouri ; du blanc pour débusquer le gris.
Furent dressés deux immenses voilages blancs dans le dos de l'Amiral Coligny.
L'espoir est venu chatouiller le regard de chaque habitant ; qui n'a pas alors rêvé
d'un temple en blanc ? Tout aussi lumineux que sa voisine Saint-Roch. En vain.
Les voilages ne serviraient pas à un éventuel projet de rénovation, mais au soutien
des pierres dites "à risques".
Ainsi les mois passèrent et la saleté, la pollution, les ravages des pigeons
s'exécutèrent aussi ponctuellement que le balancier d'une horloge.
Plus de deux années se sont écoulées sans que nul travail ne soit effectué et
le tissu s'accroche désespérément aux moulures ternes des piliers extérieurs.
Quelle triste vision pour un si prestigieux monument solide et tenace depuis 1621.

Et pourtant si vous saviez la vie qui règne en son sein...
Vous êtes très certainement passé devant sa façade austère,
mais l'avez-vous vu vivre, avez-vous entendu son coeur battre ?
Moi, j'ai les yeux et les oreilles collés à sa poitrine et voici ce qu'on y voit
et entend certaines fois:

Des mariages colorés sur son parvis, des claquements de mains au milieu
des chapeaux éclatants, du fuchsia sur les étoles, des touches de vert
sur les broches, des robes blanches, des escarpins argentés.
Des hommes en tenue d'officier parés de galons et de boutons dorés.
Tant de sourires et de rires.

Un autre jour, plus calme à priori, des voix de blues,
des chants graves mêlés à des voix plus aigues qui poussent les murs
du Temple pour se répandre sur toutes les parois environnantes.
Sans même les apercevoir, de mon salon je les envie.

Et certains jours, de longs silences soulèvent des cercueils ; on ose à peine regarder
les larmes de tous ces inconnus qui restent là en bas de chez nous, on jette un oeil
sur cette boîte qui semble peser aussi lourd que toute une vie, aussi lourd qu'il faut
bien quatre hommes pour la soulever en haut des marches.

Etonnamment ces jours-là nous restons aussi devant le temple, comme si
chaque évènement méritait une pause, un temps d'arrêt pour communier,
un rassemblement d'énergies en dessous d'une croix, peu importe que nous soyons
chrétiens, protestants, juifs, musulmans, ou orthodoxes, il y a un Dieu, une force
qui nous donne envie de nous arrêter dans notre folle course citadine...

Peut-être observerez-vous ce Temple de l'Oratoire la prochaine fois
que vous passerez dans le 1er arrondissement, alors j'aurai réussi à vous faire tourner
la tête quelques minutes et qui sait si vous ne serez pas pris d'une douce envie
d'aller plus loin, comme de faire entreprendre des travaux de réfection...

vendredi 6 février 2009

Un Swing Deluxe sur la péniche de la Dame de Canton



L’hymne gitan pour poser l’ambiance.
De la chaleur malgré les -2°
Du miel dans les gorges.
Des tempos dans les guitares.
Des doigts qui accordent, pianotent, grattent et jouent.
Le clapotis de l’eau, sur la coque de la péniche, qui rêve d’être métronome.
L’imposante contrebasse qui vrombit comme un moteur,
L’accordéon qui souffle fort en disant « je suis là »
Et les 3 guitares qui se tendent fièrement sous leurs cordes.

Swing Deluxe est au complet.
La belle et talentueuse équipe, un groupe de musiciens, d’amis.
5 artistes
3 hommes :
Hagop, Édouard et Clément, qui tiennent leur guitare comme 3 jolies poupées
2 femmes Agnès et Fanny qui enlacent les plus gros instruments :
L’une entoure son accordéon,
L’autre enveloppe sa contrebasse
Les deux sont des étreintes étonnantes et charnelles.
Les deux musiciennes jouent de leurs épaules,
La poitrine en avant,
Chacune balance son buste,
Tantôt suspendu
Tendu
Tantôt élancé
Soutenu.
On pourrait croire une corrida.

La musique.
« Lâche ce violon »
Un nouvel air qui fait frissonner
Avant même de comprendre les paroles
La mélodie tzigane nous traverse
Les rythmes parlent d’eux-mêmes
Puis les mots s’en mêlent
Et le cœur s’emballe,
Le corps souffre presque
Les sens sont en éveil
Les pieds battent la mesure.
Applaudissements
Déjà ?
C’est une autre chanson
Une reprise d’Aznavour
Je ne vous la raconterai pas,
Je vous laisse y aller
Parce que tout ne se raconte pas…


lundi 2 février 2009

Samuel & Alexandre sont vivants !







Lire et ne pas réciter.
Lire pour savoir incarner les personnages d'un roman et non pas ceux d'une pièce de théâtre,
Un dialogue sans tiret,
Un duo sans duel.





C’est Lambert Wilson qui s’élance
Et toutes les phrases de l’auteur sont devenues siennes
Sans doute parce que c’est une histoire d’hommes, parce qu’il les entend parler.
Il incarne Samuel & Alexandre avec l’intonation que l’on espérait en lisant ce roman.
Rien ne le choque, ni le bouscule,
Les mots dansent sur ses lèvres, les plus sensés comme les plus impudiques.
L’impertinence d’Alexandre lui chante l’alto dans la gorge, l’innocence de Samuel lui réveille ses aigus.
Wilson ne lit plus son texte sur les longues planches foncées des bouffes du nord, mais partage une coupe de champagne avec deux amis.
Assis sur le sable froid, il contemple lui aussi une nuit sans étoile, espérant entrevoir le soleil de minuit.

Puis c’est Fanny Ardant qui doit poursuivre, comme une intruse parmi tant d’hommes.
Elle n’incarnera pas, elle commencera par lire « Samuel et Alexandre ».
Ils sont antipathiques, ne la laissent pas s’approcher, l’interpellent amusés parce qu’elle essaye.
Ils tournent autour d’elle, comme deux sales gosses qui chahutent une nouvelle fille dans la cour de récré.
Lorsqu’elle leur échappe.
Ils n’ont rien vu : Fanny Ardant les a embrassés.
D’abord ils rougissent, parce qu’elle n’est pas timide en réalité et parce que les baisers de Fanny Ardant sont troublants évidemment !
Bons joueurs, Samuel et Alexandre se laissent apprivoiser comme deux garçons faciles.
Puis se laissent griser par cette voix, cette divine et bouleversante voix.
Après le casino, la main passe aux femmes, elle et Jeanne,
Elle est Jeanne.
Elle est toutes les femmes à côté de tous les hommes.

Alors que, timidement, humblement, il doit répondre aux applaudissements,
Francis Leplay embrasse Lambert Wilson et Fanny Ardant avec les mains tremblantes, le cœur gonflé et des mercis plein la bouche.