mardi 8 juillet 2014

Extrait du roman "Âmes-Soeurs" chapitre 1



1.  Apparitions

Alors qu'elle a fini d'accrocher tous les ballons multicolores dans le jardin et enfourné ses délicieux fondants au chocolat pour l'anniversaire d'Angélique sa plus jeune fille, Lara Layne ressent quelque chose d'étrange… Le temps s'immobilise pour laisser un souffle envoutant traverser la cuisine. Doux et puissant à la fois, il  l'effleure, puis l'enveloppe, pour enfin lui donner l'incroyable sensation d'être surélevée du sol. Des vibrations douces et légères parcourent tout son être de la pointe de ses pieds, jusqu'au sommet de son crâne. Ce souffle magique, comme venu d’ailleurs l'emporte et lui fait oublier le poids de son corps, comme si un ange lui avait prêté des ailes.
Lara se doute alors, que cette sensation aussi étrange que fabuleuse n’a rien à voir avec la joie de préparer l'anniversaire de sa fille. Il s'agit d'autre chose, mais de quoi ? Étonnée par cet état, elle s'assied près de la table, s'appuie contre le dossier de sa chaise et contemple la grande cuisine dont l'inox et le plan de travail en corian blanc, sont maculés de farine, de gouttes de chocolat fondu, d'ustensiles et de plats de toutes tailles. Elle inspire le doux parfum de cacao qui se dégage tout autour d'elle et ferme les yeux de plaisir. Il n'y a pas ou peu de bruit dans la maison : Angélique joue tranquillement dans sa chambre, tandis que Constance, sa sœur aînée, lit le dernier roman de Roal Dahl dans le salon. Ce calme et cette sérénité enveloppent entièrement Lara qui songe à cette existence plaisante et douce qu'elle mène ici dans le Maryland, à Tom son mari qui s'épanouit toujours autant au sein de la société C.B.V, remplissant une fois de plus sa mission avec entrain et détermination, aux filles qui se plaisent dans leur nouvelle école Montessori. Lara a toujours souhaité qu'Angélique et Constance sachent s'immerger dans les nouveaux pays qui les accueillent, les inscrivant dans des établissements habitués à recevoir des étrangers, cherchant ainsi à faciliter leur intégration et à développer au mieux une tolérance respective. Arrivés peu de temps après le début de la guerre en Irak, les quatre membres de la famille Layne doivent être vigilants, car ils représentent la France et donc le refus de participer à cette guerre. Lara redouble d'attention pour ses enfants qu'elle souhaite tolérés autant que tolérants. En cela le système éducatif Montessori répond parfaitement à ses exigences. Il offre un apprentissage intelligent, souple et sensible et surtout il apporte des solutions fabuleuses à toutes sortes de conflits entre élèves. Elle avait applaudi lorsqu'Angélique lui avait confié que sa maîtresse l'avait attachée au poignet de son ennemie jurée pendant toute la journée. Cette technique les avait obligées à trouver des solutions pour s'accorder sur leurs moindres mouvements : travailler côte à côte, partager les discussions de leurs amis respectifs, déjeuner ensemble, pour finalement apprendre à se connaître et s'apprécier. Quelle riche idée que d'employer un lien qui unit pour désamorcer un conflit ! L'ennemie d'Angélique n'était pas devenue sa meilleure amie, cependant elle avait perdu son statut d'adversaire pour prendre celui d'alliée.  
Pour célébrer le sixième anniversaire d'Angélique, Lara Layne a invité aujourd'hui une vingtaine d'enfants du même âge. Ce sont des camarades d'école, des voisins de quartier, ainsi que des fils et filles d'amis. Ici à Annapolis, la maison de Tom et de Lara est assez grande pour accueillir une horde d'enfants. Elle possède un jardin assez ludique dans son aménagement pour occuper de jeunes invités à glisser sur un long toboggan, dribbler sous un panier de basket, ou encore sauter sur un trampoline. La famille Layne se plaît dans cette nouvelle vie au bord de la mer, dans la baie de Chesapeak. Ils tissent des liens avec quelques Américains, ou d'autres francophones, expatriés comme eux, tout en sachant qu'après deux ou trois ans de partage, ils referont leurs bagages pour immigrer vers d'autres horizons. Les adieux sont plus ou moins déchirants et sont devenus coutumiers pour Lara et Tom qui vivent ainsi depuis vingt ans. Constance, du haut de ses 8 ans s'est habituée à ces déménagements récurrents, néanmoins elle aime particulièrement la douce et confortable existence américaine. Pour Angélique, plus jeune et dotée d'un tempérament plus secret que son aînée, chaque intégration se révèle moins naturelle, mais pas insurmontable.

Toujours assise, le sourire aux lèvres, Lara se dit qu'elle est heureuse d'avoir cette vie et construit cette famille-là. Lentement ses paupières s'ouvrent, comme si une longue sieste l'avait emportée, comme si les ailes qu'elle avait eues dans le dos lui avait permis de voler au-dessus du toit de sa maison, des arbres, dans le souffle tiède du vent, près des oiseaux et des anges, en accord parfait avec la nature. Ce temps lui a été accordé tel un don du ciel, une parenthèse merveilleuse qui l'a inondée de joie.
Une fois les yeux ouverts Lara sursaute. Elle n'est plus seule : deux formes se tiennent de l'autre côté de la table. Elle referme les yeux, puis les rouvre énergiquement pour s'assurer de ne pas avoir fait erreur. Il s'agit bien de Louise et de Léandre, la grand-mère et l'oncle de Tom ; tous deux défunts depuis plusieurs années. C'est incroyable, pourtant elle est certaine de ce qu'elle voit. Même si elle n'a jamais connu Léandre, elle devine immédiatement son identité. Quant à Louise, il n'y a aucun doute, Lara l'a connue de son vivant et la reconnaît instantanément. Une chose l'étonne néanmoins : la grand-mère de Tom paraît tout à fait sereine, les rides profondes qui mettaient sa bouche fine entre parenthèses sont estompées, ainsi que celle qui lui barrait le front et lui donnait une expression sévère et soucieuse. Étrangement,  Lara n'a pas peur de ces deux individus qui trônent au milieu de sa cuisine, ce qui n'empêche pas son rythme cardiaque de s'accélérer – l'excitation probablement. Debout à présent, les jambes bien droites, elle contemple ces deux formes. Elle serait presque tentée de les toucher, mais cette fois la peur l'arrête. Très rapidement, Lara les entend et semble les comprendre sans échanger un seul mot à voix haute. Les phrases sont bienveillantes et harmonieuses. Comment ? Elle n'en sait rien et cela n’a pas d’importance, l'ambiance est fabuleuse, légère et euphorisante en ce moment-même. Elle se sent transportée par cette visite inattendue, ressentant une forme de fierté à l'idée que ces deux revenants aient choisi de lui apparaître, à elle la discrète Lara Layne. Alors qu'elle savoure cette magie, elle se sent comblée, comme si Louise et Léandre lui apportaient la preuve tangible de ce en quoi elle avait toujours cru : "C'est donc vrai, on peut voir les morts. L’au-delà ne serait pas aussi loin qu'on l'imagine".
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